ÉCHO X ÉCHO
En Echo, crée entre 1993 et 1994 par le compositeur de musique contemporaine Philippe Manoury, interroge la relation organique, animale, quasi-érotique susceptible de se nouer entre une voix de chanteuse et la machine envisagée comme un objet sonore artificiel. La chanteuse y incarne un personnage de jeune fille — possible référence au roman Lolita de Nabokov — et la machine y joue le rôle d'un miroir imaginaire, faisant surgir des souvenirs, des images, et sculptant sa propre voix comme une sorte de dédoublement.
A l'extrême complexité émotionnelle portée par la voix — que Manoury qualifie de "polyphonie de comportements" et au sein de laquelle s'exprimeront hauteurs tonales, phonèmes, bruits, voix parlée —, la machine répond en installant autour de la voix de la chanteuse une forme sonore hypersensuelle, un espace de liquide amiotique, de cyprine, hypersexualisé.
Nous prolongeons cette recherche en interrogeant expérimentalement l'hypersexualisation de l'objet animé à travers la relation érotique particulière que la voix de la cantatrice peut esquisser avec, cette fois, le geste artificiel.
Un exosquelette constitué de deux bras robotisés solidaires du corps de la cantatrice écoute sa voix en permanence. Il est piloté par un algorithme d'intelligence artificielle entraîné sur la gestuelle réelle de la cantatrice et répond à ses variations, ses intonations, sa fragilité, ses pulsions hystériques et ses ambivalences. Il installe autour de la chanteuse un halo chorégraphique, comme un continuum corporel de son imaginaire.
Il s'agit d'une proposition qui fait bien entendu écho au mouvement transhumaniste d'augmentation du corps par la technologie — via des implants cérébraux et des puces électroniques insérées dans les organes — et à sa fantasmagorie hyperrationnelle, mais aussi à la question de l'ambivalence du langage véhiculé par le geste artificiel, à cet endroit singulier où l'algorithme rencontre un bug et s'y engoufre dans une boucle infinie.
Elle s'empare aussi du trouble que peut provoquer le geste artificiel lorsque certaines de ses caractéristiques semblent trop humaines pour être portées par une machine (évoquant en cela la fameuse uncanny valley du cybernéticien Masahiro Mori).
A l'image de la méthodologie de Philippe Manoury, l’approche est ici avant tout expérimentale. Elle se nourrit de nombreuses sessions d'interaction entre la cantatrice et son exosquelette au cours desquelles tous deux construisent peu à peu un matériau poétique commun, s'influençant mutuellement, s'adaptant l'un à l'autre ou se jouant au contraire l'un de l'autre.
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Project collectif de Clémence Martel, Syd Reynal et Alessandro Ratoci , en collaboration avec le laboratoire ETIS (UMR 8051 CNRS / CY Cergy Paris Université / ENSEA).
Présenté à Trieste en novembre 2021 (festival Teatro del Suono/Paradiso, collectif Cantierezero), et à Stuttgart et Backnang en janvier et février 2022.